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MONGO BETI ET LA LUTTE COMME MOYEN DE RECTIFICATION DU MAL DANS LA SOCIETE
INTRODUCTION
Le combat entre le plus puissant, le plus prestigieux, le plus civilisé d’une part et le plus faible, le plus obscur et le plus sauvage de l’autre se termine par la victoire des petites gens dans une généreuse perspective de réhabilitation générale de l’Afrique. .
Thomas Melone 1969:21
L’exergue ci-dessus met au fond le phénomène de l’existence de deux classes opposées qui se mettent toujours en combat. Ce combat constitue le mal et empêche le développement et la paix dans le monde : Le plus puissant et plus civilisé sont les gens de la classe privilégiée y compris les dirigeants et les gens bien placés de la société tandis que le plus faible et obscur, dit aussi les ‘’petits gens’’ sont les moins privilégiés y compris les pauvres opprimés qui n’ont même pas droit à la parole, mais ironiquement, selon Melone, gagne dans le combat. Cela souligne le fait que personne n’est négligeable dans la société. Grand ou petit, riche ou pauvre, bien né ou non ; tout le monde est important parce que chacun a son rôle à jouer, à contribuer pour améliorer la société dans laquelle il vit.
L’Afrique a été soumise à la colonisation par laquelle elle devient selon Melone, (1969 :93) ‘‘un groupe de « petit gens », des illettrés, qui n’occupent que le dernier rang au bas de toutes les hiérarchies.’’ Elle devient la classe laborieuse et exploitée que la société acharne à détruire. Alors, l’homme noir se voit soumis à une grande difficulté d’atteindre une vie convenable pour se réaliser.
Une étude sur l’Afrique coloniale et poste coloniale expose la marginalisation de ces ‘‘petits hommes’’ par ‘‘les colosses’’ Même avec les soleils des indépendances ces néophytes et moins privilégiés sont soumis à l’insécurité sociale et économique et ne peuvent pas s’intégrer dans la vie. Ils crèvent de faim et souffrent d’inattention gouvernementale. La vie ne favorise que les dirigeants, les hommes ‘’ plus forts ‘’ et les hommes ‘’ bien –nés’’. Ce sont eux, seuls, qui jouissent des biens de la société. Ce phénomène, qui est toujours en vigueur dans l’Afrique contemporaine, mérite un appel aux approches pratiques pour les résoudre.
Il convient ici de remarquer que, ce phénomène socio-économique paraît universel. En Europe, le capitalisme mis en place par les bourgeois avait laissé la classe basse dans une situation pitoyable. Le fait avait engendré la publication du Manifeste en 1845 par Karl Marx. Marx avait une vision de créer un monde où la classe ouvrière bénéficierait de ses travaux durs parce que, pour lui, le seul déterminant de la vie et l’idéal de l’homme, c’est son existence sociale et économique. Bref, l’existence économique détermine l’existence sociale de l’homme. Marx embrasse le socialisme et rejette entièrement l’exploitation. La mission de Karl Marx, donc, est de fournir une théorie révolutionnaire pour servir aux prolétaires comme guide d’être libres. Il souligne que puisque l’homme est l’architecte de sa fortune, personne ne doit accepter comme son destin une condition qui n’est pas convenable.
Pour lui, il ne faut pas rester dans une mauvaise condition ; il faut lutter, même par la force, pour l’améliorer. L’idée de Karl Marx avait traversé plusieurs pays du monde. En Chine, les paysans comme classe populaire, ont lutté pour acquérir l’état de citoyens. C’était ainsi en Russie en 1917. A Cuba, la révolution guidée par Fidèle Castro en 1958 avait surtout l’inspiration marxiste.
L’homme par sa nature ne cesse d’exhiber son propre caractère. C’est avec cette tendance que Martin Luther King, le noir américain, Nelson Mandela de l’Afrique du Sud, Jomo Kenyatta du Kenya, Kwame Nkrumah du Ghana, Nnamdi Azikiwe du Nigeria parmi tant d’autres dirigeants africains, ont lutté infatigablement contre le racisme, la colonisation et l’exploitation du monde noir. Cette lutte devient bien nécessaire dans la vie socio politique et économique d’un pays pour réaliser la dignité de l’homme. Quant aux pays africains, la lutte est obligatoire, pour pouvoir se dégager de la ficelle du ‘’colosse’’ et avoir son indépendance. Selon Césaire, ‘‘ il ne faut pas croiser les bras en l’attitude stérile de spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleur n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse’’ (1971 :62). C’est alors grâce à cette lutte, entreprise autrefois par Martin Luther King, qu’aujourd’hui, des noirs d’origine africaine, ont pu atteindre des échelons respectables dans le monde.
Un proverbe nigérian souligne que ‘‘le crapaud ne court pas en plein aire pour rien’’. Ainsi, ce n’est pas seulement pour écrire que l’écrivain entreprend son travail. Il écrit parce que quelque chose le pousse à écrire. Pour un écrivain, la plume, bien sur, devient sa bouche et sa voix par laquelle il peut s’exprimer. Peut- être c’est pour cela qu’Aimé Césaire, dans son Cahier d’un Retour au Pays Natal déclare : ‘‘Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche ; ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir’’ (1971 :61).
C’est par le même courant que l’idée marxiste a été reflétée dans le domaine littéraire. Emile Zola, qui se tient comme chef de file des écrivains naturalistes français avait embrassé cette idée. Zola, qui ne se contente pas d’écrire, mêle la littérature à la vie actuelle d’où il peut se faire entendre. C’est ainsi qu’il lance sa lutte, surtout dans Germinal. Zola croit en la possibilité de reformes et l’amélioration de la société par le développement de l’instruction et par l’organisation des ouvriers en syndicats. Pour lui, les pauvres mineurs devraient et doivent bénéficier de leurs travaux durs. Donc il avait pu faire qu’ils eussent pris conscience de leur condition et de la force qui pourrait être la leur. Malgré sa condamnation à trois mille francs d’amende et un an de prison, il luttait, même en exile, jusqu’ à sa mort en 1902. Son engagement au bien de la classe basse lui attire une grande admiration parmi cette classe. Dezalay (1983 :521), confirme cette disposition de Zola dans son commentaire ainsi :-
ce n’est pas sans raison qu’à l’enterrement de Zola (tandis
que les ennemies célèbrent le fait divers naturaliste) la foule
avait crie ‘’ Germinal ! Germinal ! Germinal !’’ pour célébrer
à sa manière la grandeur de l’écrivain… et peut être en hommage
au romancier qui a fait entendre les cris de justice des charbonniers.
La société africaine actuelle est celle de classe ou chaque classe exprime son sentiment sur les événements et les phénomènes sociaux. Ainsi, les écrivains emploient leurs plumes pour exprimer leurs propres pensés sur les événements qui se déroulent dans la société, car, dans les dires de Biachere et Fall (1977), l’œuvre littéraire est l’expression d’une vision du monde propre à la classe sociale à laquelle appartient l’écrivain qui pense et sent cette vision.
C’est ainsi que les écrivains engagés africains choisissent souvent comme instrument de base, la lutte des classes pour analyser les phénomènes de l’Afrique coloniale et post- coloniale.
Dans le monde littéraire, surtout en Afrique francophone, les écrivains mettent dans leurs œuvres l’aspiration du public. Cette aspiration est la justice et la fin de l’exploitation des faibles. Puisque, selon Rial (1972 :50), un véritable engagement politique est celui qui perce à travers quelques textes publics, les intellectuels noirs, par une prise de conscience, ont lancé « la négritude » ; un terme clé dans la littérature africaine de l’époque coloniale. Ce terme vise à marquer la fierté de l’homme noir ; il marque aussi la revalorisation de la culture, l’héritage et la race noire. Les écrivains francophones, dont Mongo Beti, l’homme de notre étude, paraît comme chef de file, croient à une approche plus ou moins révolutionnaire, basée sur la lutte pour conjurer le sort de cette classe basse.
Ils essaient donc, par leurs efforts intellectuels et politiques, d’essuyer la flétrissure mise sur le monde noir. Ils veulent, par ceci, évoquer chez ces opprimés, une prise de conscience qui leur fera savoir qu’ils sont des êtres humains, ayant le droit à une vie digne, le droit à la justice et à la liberté. Pour ces écrivains intellectuels, il ne faut pas se laisser piétiner, il faut par touts les moyens y compris la lutte, ( physique, verbale, violente ou non violente individuelle ou de groupe), résister à toutes tendances contre la restitution de la dignité et de l’identité de l’homme noir , contre la rectification de l’état de souffrance et d’oppression dans lequel vivent l’individu et la communauté. Mongo Beti de sa part, met en vigueur dans toutes ses œuvres, les conditions pitoyables dans lesquelles les concitoyens camerounais, moins fortunés ont été laissés. Beti croit à une lutte plus radicale comme seul moyen d’être libre. Bref, il est toujours prêt à se mouvoir en poursuivant sa cause révolutionnaire
Enseignant, libraire, et éditeur, romancier renommé et essayiste, Beti sait bien manipuler le langage pour évoquer un sentiment révolutionnaire. Alors, il poursuit sa vision de rectification du mal par le moyen de la lutte dans les romans. Mais, cette poursuite améliorera- t- elle le destin de cette la basse ? Résoudra- t– telle le problème de distinction de classe et les conflits toujours en vigueur partout dans le monde? Le fait est touchant en considérant le niveau de la souffrance, de la misère, de l’exploitation et de l’insécurité auxquelles la masse populaire a été soumise, surtout dans beaucoup de pays africains, le Nigeria y compris. Cette classe, qui est faite de la majorité des africains, ironiquement, n’a pas droit à la parole. C’est une situation à laquelle, des écrivains et des activistes politiques camerounais comme Mongo Beti, Célestin Monga, Yvette Monga, Ambroise Kom, Félix Moumie, George Ngwane, Ferdinand Oyono, parmi tant d’autres jurent de résister puisque, comme le postule George Thomas (2005 :5)
The poet [writer] speaks not only for himself but for his fellow men. His cry is their cry which he only can utter. That is what gives it its depth. If he speaks with them, he must suffer with them, rejoice with them and work with them. Le poète [écrivain] ne parle pas pour lui -même mais pour ses concitoyens. Son cri est leur cri que lui seul peut pousser. Voici ce qui lui donne l’profondeur. S’il parle avec eux, il doit souffrir avec eux, se réjouir avec eux ; il doit travailler avec eux. (Traduction la nôtre)
L’indépendance des pays africains devrait marquer une époque de liberté pour les citoyens, mais au contraire, la vie ne favorise pas ‘‘les pauvres diminués’’ ; la vie devient de plus en plus difficile pour ceux-ci parce qu’ils n’ont pas accès au pouvoir. Cette situation qui régnait dans l’Afrique coloniale et persiste encore dans l’Afrique post indépendante mérite donc une grande réflexion aux moyens de rectification.
En Afrique francophone, les écrivains engagés comme observateurs, examinent la société d’Afrique coloniale et post – coloniale et essaient de considérer objectivement les questions qui sont très importantes aux sociétés africaines contemporaines ;- le sort de la classe basse. Sembene Ousmane par exemple, inspiré peut être par la grève historique des cheminots noirs de Dakar, met l’accent sur l’exploitation et la lutte dans Les Bouts de Bois de Dieu. (1960) Il dénonce, la perpétration de l’injustice et la soutenance du statu quo exploitant de la classe privilégiée. Ce roman, révèle au moins une conscience à l’injustice sociale. Mongo Beti de sa part, met en vigueur dans toutes ses œuvres, les conditions pitoyables dans lesquelles les concitoyens camerounais moins fortunés, ont été laissés. Il croit à une lutte plus radicale comme le seul moyen d’être libre. C’est dans cette perspective qu’on peut comprendre la portée révolutionnaire de l’œuvre de Mongo Beti que nous étudions.
Pour faciliter notre travail, nous divisons le travail en cinq chapitres selon l’ordre logique suivant :
Le premier chapitre est consacré au background de l’étude. Cette approche est importante parce que pour bien comprendre l’œuvre, il faut connaître l’écrivain. Nous examinons la pensée politique de Beti et sa vie en générale pour déterminer ce qui aurait influencé sa production littéraire. Nous enlevons la problématique de l’étude, les objectifs, et la méthodologie. Certains termes clés sont expliqués selon le contexte de l’étude.
Le chapitre deux est la revue littéraire. Ici, nous mettons au jour l’état actuel de la recherche. Puisque chaque littérature reflète le déroulement de la société et doit avoir un rapport au milieu social de son producteur, nous examinons ici, l’aspect historique de l’Afrique surtout le Cameroun pour déterminer ce qui aurait évoqué la production d’engagement bien manifestée chez Beti. En nous appuyant sur les thèmes de l’exploitation, l’injustice, la marginalisation, la dictature, la violation du droit humain et la lutte des classes, nous essayons d’examiner les vues de divers auteurs et les critiques sur Mongo Beti et sur la tendance révolutionnaire dans ses œuvres.
Le chapitre trois est une étude analytique et thématique des romans de choix de l’ère coloniale pour enlever ceux que Mongo Beti considère comme le mal et puis montrer comment cet écrivain emploie la lutte comme moyen de rectification du mal dans la société romanesque betienne de l’ère coloniale. Pour y arriver nous exploitons les perspectives suivantes :
- La vie socio économique et culturelle de l’Afrique traditionnelle – la source de vie du peuple à travers les romans betiens de l’ère coloniale.
-Présentation du mal à travers les romans de l’ère coloniale.
- Beti et la lutte comme moyen de rectification.
Le chapitre quatre est une étude analytique et thématique des romans de l’ère post- coloniales pour montrer ce que Mongo Beti considère comme le mal et puis montrer comment cet écrivain emploie la lutte comme moyen de rectification du mal dans la société romanesque betienne de l’ère coloniale. Pour y arriver nous exploitons les perspectives suivantes :
- La vie socio politique de l’Afrique indépendante, à travers les romans de l’ère après l’indépendance.
– Présentation du mal à travers les romans de choix de l’ère après l’indépendance.
- Beti et la lutte comme moyen de rectification.
Enfin, dans le chapitre cinq nous faisons la synthèse de notre travail. Ici nous présentons les points de convergences entre les romans de l’ère coloniale et les romans de l‘ère post- coloniale. Pour montrer ce que Beti identifie comme le mal à travers les romans de choix et l’efficacité de la lutte comme moyen de rectification. Nous réfléchissons sur phénomènes socio économiques et politiques ; l’exploitation et la distinction de classes, le chômage, et l’insécurité, la fraude et la corruption, l’adhésion au pouvoir, qui persiste encore dans l’Afrique démocratique contemporaine et sur sa stratégie de rectification. En nous appuyant sur l’idéologie de Beti à travers les œuvres étudiées, nous nous posons des questions rhétoriques dont les réponses nous permettent d’essayer de proposer des solutions possibles à ces problèmes qui militent contre la sécurité, l’égalité du droit et la paix globale en général et celles de l’Afrique en particulier. Nous voilà en fin dans la conclusion.
MONGO BETI ET LA LUTTE COMME MOYEN DE RECTIFICATION DU MAL DANS LA SOCIETE
